Le plus grand et prestigieux salon de photographie du monde vient d’ouvrir ce jeudi 10 novembre ses portes au Grand Palais de Paris. Parmi les 153 galeries venues, la 20e édition de « Paris Photo » offre l’occasion de découvrir les icônes détournées de l’artiste africain-américain Hank Willis Thomas. Plus qu’un photographe, le New-yorkais de 40 ans est un artiste multimédia très doué pour mettre « à nu » les images du passé, de l’esclavage jusqu’à la ligne de couleur et la discrimination raciale qui perdure. Entretien avec son galeriste bruxellois Laurent Mercier.
RFI : After Identity, What?. Peut-on considérer le titre de cette œuvre comme le fil conducteur du travail de Hank Willis Thomas ?
Laurent Mercier : C’est un de ses fils conducteurs. After Identity, What? montre une photo d’un mannequin de 1962 qui était bien pour vendre des produits de grande consommation, mais qui n’avait toujours pas le droit de vote. Donc After Identity What ? » signifie : donnez-moi le droit de vote, donnez-moi une identité.
Car Hank Willis Thomas interroge beaucoup l’histoire, la publicité, l’esclavage, la couleur de peau…
Absolument, surtout la politique. Comme il est noir, il vit ce qui se passe aux États-Unis et partout dans le monde. Une de ses causes, c’est la police qui continue à faire une différence entre le Blanc et le Noir. Le Noir n’est pas soupçonné, mais condamné à l’instant. Donc il se révolte. Son cousin a été tué à New York, par un gang, en pleine rue. Hank se trouvait avec lui. Ils se font braquer pour des bracelets en or que portait ce dernier. Il leur a tout donné et quand même, il s'est fait abattre à bout portant… Cela l’a marqué.
Il est devenu connu, en 2007, à l’âge de 31 ans, avec Unbranded, de quoi cette œuvre parle-t-elle ?
Unbranded est une série de 101 photos. Cela commence en 1915 et va jusqu’à 2015. Chaque année, il a sélectionné une publicité considérée « iconique », traitant une femme qui est employée comme un objet pour vendre un produit de grande consommation. On voit l’évolution durant cent ans de la femme employée par l’homme blanc pour vendre ses produits.
Peut-on dire qu’il a retiré les slogans pour montrer le corps de la femme, la réalité nue ?
Il a retiré le slogan, les textes, la marque, et on voit plus que la femme-objet.
En face, vous avez exposé une autre photographie de Hank Willis Thomas, After 61 Years of Service, I Ben, Promoted. Qui se cache derrière ce titre ?
On voit « Monsieur Uncle Ben’s » que tout le monde connaît grâce aux paquets de riz. Il a été promu « chairman », c’est-à-dire après tant d’années de loyaux services sur le packaging de la marque, il a été démis de sa fonction.
Vous avez évoqué le destin tragique de son frère, mais Hank Willis Thomas a aussi une mère photographe très reconnue, Deborah Willis, l’une des plus grandes expertes de l’histoire afro-américaine. Quel est le message essentiel de cette transmission familiale ?
Hank Willis Thomas espère avoir un jour un monde parfait, où tout le monde ait les mêmes droits et où il n’y ait plus de préjugés dépendant de la couleur de peau, de la classe sociale ou de l’endroit où l’on habite. C’est pour cela qu’il se bat.
Quelle est la signification de sa photographie Absolut No Return ?
La photo montre l’île de Gorée, située dans la baie de Dakar au Sénégal. C’est de là que partaient tous les esclaves. C’est là qu’on compartimentait les deux sexes, mais aussi la force musculaire ou la taille de la personne avant de partir aux États-Unis. De là, il a transformé cette porte de la Maison des esclaves en modèle de la bouteille de « Absolut Vodka » qu’il fait apparaître sur la mer. Et il appelle l’œuvre Absolut No Return.
Quel est le prix de ces photos ?
Cela commence à 12 000 euros et va jusqu’à 65 000 euros.
De l’autre côté de la Seine, au musée du quai Branly, se tient actuellement une exposition sur l’engagement des artistes africains-américains contre la ségrégation (avec l’œuvre Amandla de Hank Willis Thomas). The Color Line souligne que les artistes africains-américains sont encore trop inconnus en France et en Europe. Partagez-vous cet avis ?
Oui, absolument. Aux États-Unis, il y a toute une polémique comme quoi pour avoir une rétrospective dans un des quatre grands musées, il fallait être blanc et mâle. Les dix dernières années, il y avait une telle révolte qu’on a commencé à remplacer les curateurs. Aujourd’hui, il n’y a pas mal de curateurs féminins et blacks. Les choses changent. C’est la qualité qui prime et pas la couleur de peau ou le sexe.
Y a-t-il une demande croissante en France et en Europe pour les œuvres de Hank Willis Thomas ?
Oui, on vient d’avoir un solo show de lui à Bruxelles et on a vraiment très bien vendu. Donc l’artiste est recherché.