Quand la peinture est poésie pure et sublimation

La Libre
Claude Lorent pour La Libre 
 

L’exposition monographique de l’Américain Ross Bleckner chez Maruani Mercier à Bruxelles est un hommage d’excellence aux fleurs de Monet.

 

Il fait partie assurément des plus importants artistes de notre temps, accrédité d’une reconnaissance mondiale plus conséquente aux ÉtatsUnis qu’en Europe par une présence abondante dans les plus grands musées. Ne jouant pas les stars, il ne fait les unes artistiques people mais se pointe dans des collections prestigieuses qui comptent dans le domaine de la peinture. Grâce à la galerie Maruani (et ex Noirhomme) Mercier, sonoeuvre est diffusée en Belgique depuis de nombreuses années. Une nouvelle exposition monographie, principalement d’oeuvres récentes avec quelques autres déjà historiques, confirme que cette aura est plus que largement méritée. Cette peinture s’inscrit dans la grande tradition de la qualité d’un rendu extrêmement sensible et d’un traitement admirable, magnifiquement maîtrisé. Mais attention, la ‘grande’peinture n’est pas uniquement un savoirfaire, l’importance primordiale est ce qu’elle transmet hors discours et commentaire, le rayonnement qu’elle émet naturellement pour atteindre nos ressentis les plus profonds. Elle transcende le sujet abordé qui se mue alors en poésie pure, à lamanière d’écrivains tels Peguy cultivant admirablement lemystère des choses ou Mallarmé, un maître du symbolisme. C’est de cet ordre qu’est la peinture de Ross Bleckner.

 

Une beauté intériorisée

Sa dernière série de peintures sont des fleurs d’eau flottant tranquillement sur la surface miroitante. Des hommages évidents aux Nymphéas deMonet. Pour la circonstance, le peintre ne choisit pas n’importe quel père. Ni le moindre des symboles de la vie à la fois merveilleuse et éphémère. Un hymne à la nature, au présent, à ce qui nous est offert et peut ravir notre être tout entier pour peu que l’on accepte de se laisser envahir par la beauté simple et naturelle. Les peintures de Ross Bleckner détiennent ce pouvoir sans doute parce qu’elles sont réalisées dans cette admiration double deMonet et de la nature généreuse. Sans doute parce qu’elles proviennent d’un élan intérieur animé par ce désir de transmettre une beauté que les qualificatifs n’atteignent pas tant elle rejoint l’indicible des émotions et des sentiments. Tant elle se confond avec une spiritualité qui est aspiration intime au dépassement, à tracer un chemin vers une forme de sublimation. Les oeuvres antérieures exposées, tant celle où apparaît discrètement un oiseau prêt à s’envoler vers un monde enchanté, hommage personnel de l’artiste à un être cher, que celles constituées de courbes et cercles en pointillés presque hypnotiques, expriment déjà cet audelà de la figure peinte.

 

Frémissements chromatiques

Le merveilleux de la peinture de Ross Bleckner réside dans… la peinture en connexion avec l’intériorité des motifs floraux présents parcimonieusement pour laisser la place, largement à l’abstraction aquatique. Les fleurs, on le sait, sont un langage en soi, elles nous parlent de beauté, de senteurs envahissantes, enivrantes; elles créent une atmosphère de douceur et délicatesse, elles sont attendrissantes par leur état éphémère – comme le nôtre –, elles nous ravissent et font, un instant oublier les vicissitudes diverses. Lorsqu’elles se font discrètesmais distillent leur lumière tendrement colorée, elles atteignent ce degré poétique évoqué. C’est exactement ce qui se passe dans les subtilités matiéristes, dans les plus infimes vibrations chromatiques que l’artiste parvient à instiller dans les reflets des frémissements de la surface des eaux. Là, la peinture est celle de l’excellence, du sublime.

6.6.2018