Manuel Mathieu arrive au MBAM

Le Devoir
Caroline Monpetit pour Le Devoir
 

Manuel Mathieu est fasciné par le jeu de thaumatrope, qui permet, par une illusion d’optique, de fondre deux images en une. C’est notamment ce jeu qui l’a guidé lorsqu’il a peint l’œuvre Rempart, qui fait partie de l’exposition solo « Manuel Mathieu – Survivance », la première qu’il présente dans un musée, qui prend l’affiche au Musée des beaux-arts de Montréal. Dans cette œuvre, comme dans plusieurs autres de l’exposition, corps et chairs se mélangent et se disloquent pour restructurer un tout, à la fois organique et minéral, à la fois espérance et décomposition.

 

C’est après avoir longuement évalué ses intentions, jusqu’à voir leur impossibilité, que l’artiste dit commencer à peindre.

 

C’est ainsi qu’il explique notamment la toile Saint-Jak. Cette toile, comme une autre de l’exposition qui s’intitule Rédemption, est inspirée de photos prises lors d’une cérémonie vaudoue Saint-Jacques, en Haïti. Sans avoir assisté à cette cérémonie, sans même être pratiquant du vaudou, Manuel Mathieu, qui a vécu en Haïti jusqu’à l’âge de vingt ans, a été touché par ces images.

 

La toile Saint-Jak est inspirée de la photo d’un homme traversant la cérémonie avec un cabri sur le dos. Mais sur la toile, où est l’homme ? Où est le cabri ?

 

Les influences de Manuel Mathieu sont multiples et confondues. Il cite Francis Bacon, qui l’a accompagné autrefois dans sa lecture du corps, mais aussi des peintres haïtiens que sont Jasmin Joseph et Mario Benjamin, le Belge Luc Tuymans ou l’artiste allemand Alfred Otto Wolfgang Schulze.

 

Même si certaines de ses toiles sont très colorées, inspirées de la nature dans laquelle il a grandi, il ne se considère pas comme un coloriste, et dit aborder la couleur de façon intuitive. Une toile,Amnesia, propose quelques taches de couleur sur fond noir et a été réalisée après un grave accident qui a fait perdre la mémoire à l’artiste pendant une semaine.

 

Inspirée d’une photo de sa grand-mère, Marie-Solange Apollon, décédée du cancer et que Manuel Mathieu était venu rejoindre à Montréal à 19 ans, Rempart la montre portant son petit-fils dans ses bras. Premier artiste canado-haïtien à intégrer la collection du Musée des beaux-arts de Montréal, Manuel Mathieu a d’ailleurs fait don de l’argent ainsi gagné pour créer le fonds Marie-Solange Apollon, en soutien aux artistes de communautés sous-représentées dans le musée.

 

L’exposition compte également la première installation en trois dimensions de cette jeune étoile montante de l’art contemporain. Ouroboros se présente sous la forme d’une série de toiles de coton non traité, montées à la verticale et brûlées en leur centre, formant ensemble une sorte de tunnel qui traverse la salle d’exposition. Les béances créées par le feu dans les toiles « évoquent l’absence, mais peuvent aussi faire référence à une délivrance, où l’artiste se joue du paradoxe entre apparition et disparition », lit-on sur le panneau explicatif de l’installation. Dans la mythologie, l’ouroboros est un symbole représentant un serpent qui se mord la queue, « un éternel retour, lit-on encore, qui nous place face à nos incohérences ».

 

Âgé de 33 ans, Manuel Mathieu connaît un automne très actif. La galerie Power Plant, de Toronto, lui consacre également une exposition solo. On y retrouvera notamment des toiles provenant de son travail sur la dictature haïtienne de François et Jean-Claude Duvalier. Une sélection d’œuvres et de dessins sera présentée à la galerie Hughes Charbonneau. Il participe aussi à l’exposition collective de la fondation PHI pour l’art,« Relations : la diaspora et la peinture », ainsi qu’à l’événement « La machine qui enseignait des airs aux oiseaux », au Musée d’art contemporain.

 

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16.9.2020