Nous sommes passés de 152 tonnes de CO2 à 80 en seulement un an

L'Echo

Xavier Flament pour L'Echo

Il expose Man Ray et Marcel Mariën, mais rien de surréaliste dans la gestion de ses galeries d'art qui ont atteint la neutralité carbone. Le Belge Laurent Mercier serait même un précurseur de la transition écologique du marché de l'art. 

Il n’a pas ce côté collet monté des galeristes de ce coin chic d’Ixelles, et c’est peut-être ce qui le rend si novateur. Depuis trois ans, Laurent Mercier, managing partner de la galerie Maruani Mercier, qui détient trois espaces d’exposition à Bruxelles, Knokke et Zaventem, s’est mis en tête de faire passer son business à la neutralité carbone, compensant par des projets durables les émissions qu’il ne peut tout à fait supprimer, tout en en faisant un argument commercial pour la nouvelle génération de collectionneurs et d'investisseurs en art. Et ça marche!

 

Quand la neutralité carbone vous est-elle apparue nécessaire pour vos galeries d’art?

Pour moi, le monde de l’art, et surtout de l’art contemporain, doit être en avance sur son temps. Il y a trois ans, je me suis dit qu’il n’était pas normal de ne pas compenser l’empreinte écologique de nos nombreux vols en avion – nous travaillons principalement avec des artistes américains – et de nos transports d’œuvres vers les foires internationales– nous en vendons plus de 200 par an. Nous avons donc rassemblé toutes les données – le nombre de tonnes, les kilomètres, les modes de transport – et les avons fournis à CO2logic, une société belge spécialisée, qui les a traduits en nombre de tonnes de CO2 émis.

 

Quel en a été le constat?

Il a été double. L’idée était à la fois de réduire ce volume et de compenser ce que nous n’arrivions pas à supprimer, car nous devions bien continuer notre business. Nous ne pouvons pas vendre des œuvres virtuellement… CO2logic nous a ainsi proposé une panoplie de projets durables pour compenser notre empreinte carbone incompressible. Nous avons ainsi investi dans des réchauds pour aider des populations du Malawi à ne plus transformer la forêt tropicale en bois de chauffage. L’année passée, nous avons participé à un projet de reforestation.CO2logic calcule ce que l’on gagne en émissions de CO2 grâce à ces initiatives et les met en balance avec notre propre production. C’est ainsi que nous sommes parvenus à la neutralité carbone.

 

Quel est l’investissement pour parvenir à cette transformation?

Ce qui est intéressant, c’est que nous sommes passés de 152 tonnes de CO2à 80 en seulement un an. Nous avons calculé qu’en trois mois, j’avais pris 23 fois l’avion: j’étais plus à l’aéroport qu’à la maison! J’allais voir des clients pour un oui ou pour un non. À présent, je regroupe mes rendez-vous et je ne vais plus que trois fois par an aux États-Unis au lieu de six ou sept fois. Plutôt que d’envoyer nos œuvres séparément dans de grandes caisses, on les regroupe dans des conteneurs. On s’est simplifié la tâche en prenant une seule société de transport qui prend en charge notre fret international et qui nous fournit un rapport avec le nombre de kilomètres et les modes de déplacement.

Pour le Benelux et la France, nous avons nos propres camions, et il est facile de calculer les déplacements de nos employés entre les galeries et leur domicile. Nous sommes aussi passés chez Lampiris pour alimenter nos trois espaces en énergie 100% verteCela prend une semaine à une personne pour rassembler toutes ces données et les reporter dans un tableau que l’on fournit à CO2logic qui le traduit en empreinte carbone et nous propose des projets vertueux pour la compenser.

 

Y a-t-il une tendance en ce sens dans votre secteur?

Non, et c’est incroyable… En Angleterre, il y a actuellement une initiative portée par la foire Frieze London et des galeristes comme Thomas Danemais ils en sont encore au stade de calculer leur empreinte carbone. Il est aberrant que l’on puisse voler 3 heures pour 15 euros et "s’en foutre". Tout le monde – consommateurs et entreprises compris – doit être neutre au niveau du climat et compenser son empreinte écologique. Il faut le répercuter dans le prix et payer ce qu’on consomme. Et pour l’instant, on ne consomme pas que le produit, on consomme la planète. On a vu à quel point nous n’avons pas su gérer l’exode d’un demi-million de Syriens fuyant la guerre. Qu’en sera-t-il dans dix ans, si nous ne faisons rien, des centaines de millions qui devront fuir l’Afrique à cause du réchauffement climatique?

 

À quel niveau doit se situer ce débat?

Pour la communauté financière, l’Europe exige que l’on passe à l’ESG (Environment and Social Governance, NDLR) et que soient pris en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans la gestion socialement responsable des entreprises. Les galeries d’art doivent aussi faire ce travail de précurseur. Quelle est l’empreinte écologique d’une foire d’art où transitent des milliers d’œuvres que des collectionneurs viennent admirer en jet privé? Si on ne compense pas cela, les foires n’auront plus longtemps à vivre. Il faut anticiper. C’est ce que j’essaie de dire à leurs directeurs: que d’ici trois ans, ils ne devraient plus accepter de galerie dont le stand n’est pas neutre en émissions carbone, et, dans cinq ans, n’accepter que les galeries qui sont elles-mêmes neutres dans leur fonctionnement. C’est aux foires de contraindre les galeries.

 

Entre 2018 et 2019, vous annonciez une réduction de 36% de votre empreinte carbone et une augmentation de votre chiffre d’affaires de 26%. Vous liez les deux?

Les gens qui prêtent attention à notre galerie veulent évidemment voir de l’art et pas des statistiques. Mais les "millenials" parmi nos clients n’acceptent plus que l’on ne prenne pas en compte l’avenir de la planète. Ils disent que cela fait partie intégrante de leur achat. Entre deux galeries représentant le même artiste, ils vont choisir la plus vertueuse. C’est certainement une manière de nous démarquer, mais il faut que ce soit toute l’industrie qui se démarque ou soit au moins "compliante" avec les bonnes pratiques environnementales, sinon, on va commencer à voir des gens bouder les galeries et les foires d’art.

 

Exposition

Ce mardi matin, on lave à grande eau la devanture de la galerie Maruani Mercier au 430 avenue Louise, à Ixelles. Elle porte encore le sticker de la Brafa Art Fair qui s’est achevée dimanche. Mais l’exposition "From Man Ray to Mariën, An Idea of Surrealism" se poursuit, elle, jusqu’au 20 mars. On y pénètre le sourire en coin, après avoir vu d’emblée la Vénus de Milo transformée en Mondrian par ce facétieux de Marcel Mariën.

 

On découvre ensuite 13 pièces iconiques de Man Ray, son maître à penser, rassemblées avec le concours de Marion Meyer, la veuve de Marcel Zerbib, son marchand parisien – sublime jeu d’échecs qui rappelle que Man Ray était d’abord designer industriel, "New York 17", une reproduction en argent du Woolworth Building compressé dans un serre-joint, ou "Trompe l’Œuf", un ready-made accroché comme un tableau présentant une photo d’œuf encadrée par une lunette de WC, hommage non dissimulé à Duchamp

 

Man Ray qui devance Calder de 10 ans avec un mobile de 65 cintres entre-accrochés, sortis d’une valise qui porte encore son nom! Au fond de la galerie, deux salles contiguës offrent un petit mausolée à 80 chefs-d’œuvre des deux surréalistes, l’Américain et le Belge, qui nous rappellent qu’il faut toujours prendre la vie avec humour. – X. F.

 

"From Man Ray to Mariën, An Idea of Surrealism"
Jusqu’au 20 mars 2021
Note de L’Echo: 5/5

3.2.2021